Expression sensible se veut un espace d’échange dématérialisé, détaché de tout ancrage, spatial ou temporel, autour des sens et de leur expression. Le paradoxe d’exprimer un monde sensible par le numérique avec pour dessein d’interroger l’expression sensible relève d’une gageure et c’est précisément cette contrainte qui impose une réflexion distanciée sur l’univers sensible. Cette tension entre l’apparente immédiateté ressentie des sens et leur formulation, médiate, permet d’interroger cette double articulation entre les sens vécus, ressentis, et les sens médiés, traduits. Quelle adéquation peut-on y voir, ou plutôt, quel genre d’inadéquation génère pareille tension ?
L’expression du monde sensible est multiple et graduée si l’on considère les quelques illustrations que sont une peinture, un fichier son ou encore une description moléculaire d’une odeur :
Outre les différents supports que peut revêtir l’expression du sensible, c’est la notion même d’« expression », dont l’origine correspond à l’« action d’extraire » (CNRTL), qui ouvre une palette des possibles. Dans son sens direct, elle correspond à l’action ou la manière d’exprimer, de s’exprimer. Ses moyens d’expression sont d’abord le langage, l’art ou le comportement. Dans son acception indirecte, elle signifie ce par quoi quelqu’un ou quelque chose s’exprime, se manifeste (Le Robert) :
I- Action ou manière de s’exprimer
A- Le moyen d’expression est le langage
- Le fait d’exprimer par le langage
- Ce qui est dit, exprimé par le langage (mot ou groupe de mots)
- Partie sensible d’un signe
- Formule par laquelle on exprime une valeur, un système
B- Le moyen d’expression est l’art
- Le fait d’exprimer, de s’exprimer par l’art
- Qualité d’un artiste ou d’une œuvre d’art qui exprime quelque chose avec force et vivacité
C- Le fait d’exprimer (les émotions, les sentiments) par le comportement extérieur
D- Aptitude de l’être humain à s’exprimer, par rapport à la communauté et à lui-même
II- Ce par quoi quelqu’un ou quelque chose s’exprime, se manifeste
Syn : manifestation, émanation, incarnation, personnification
Le caractère « sensible » de l’expression peut à son tour référer à un sens actif ou passif. Dans son acception active (qui peut sentir, réagir), « sensible » définit un être qui est capable de sensation, de perception, de sentiment ou d’un objet qui réagit au contact. Dans sa déclinaison passive (qui est senti, perçu), le terme renvoie tout à tour à une entité qui peut être perçue par les sens, non négligeable ou encore très délicate (Le Robert) :
I- (Sens actif). Qui peut sentir, réagir
- Capable de sensation et de perception
- Capable de sentiment, d’une vie affective intense, apte à ressentir profondément les impressions et à y intéresser sa personne tout entière
- Qui réagit au contact, à de faibles variations
II- (Sens passif). Qui est senti, perçu
- Qui peut être perçu par les sens
- Assez grand pour être perçu, et par ext. non négligeable
- Vieilli. Qui se fait douloureusement sentir
- Anglicisme. Très délicat, qui requiert une attention, des précautions particulières, à cause des réactions possibles
Au regard des déclinaisons définitoires des deux termes qui composent l’« expression sensible », le champ d’étude s’avère riche en nuances, qu’elles soient de l’ordre de l’expression, avec la prise en considération dominante, mais non exclusive, de l’étude de la langue, ou du sensible, caractérisé par une double articulation, à la fois agentive et expérientielle.