« Dans la patrie de Jules Verne, après le meeting en réalité augmentée, voici le meeting immersif et olfactif ». C’est avec ces mots que Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à l’élection présidentielle, a ouvert son meeting du 16 janvier 2022 à Nantes. Si cette « première mondiale » (Ouest France, 05 01 22) risque de ne rien changer à une forme de désaffection et d’éloignement des citoyens du monde politique, elle a le mérite d’interroger une pratique politique, outre la simple curiosité qu’elle peut susciter.
Le recours à l’immersion sensorielle est d’abord perçu comme un facteur de cohésion pour « vivre ensemble ce qu’un individu vit seul avec un casque de réalité augmentée » (Le Monde, 16 01 22). Le meeting, cheville ouvrière et fédératrice d’une campagne au long cours, est l’occasion première et primaire de véhiculer des idées politiques. Cette rencontre entre un candidat et son électorat se veut un espace physique de partage des idées, même si elle se manifeste le plus souvent à sens unique. Pourquoi greffer alors à ce partage d’idées un partage des sens dans une « expérience alliant l’esprit et les sens » (Ouest France, 05 01 22) si ce n’est pour renforcer la cohésion militante ? La sensation partagée, facteur cohésif par excellence, aurait alors vocation à redoubler un attachement politique.
« Dans la patrie de Jules Verne, après le meeting en réalité augmentée, voici le meeting immersif et olfactif »
Jean-Luc Mélenchon
L’apport sensible au monde politique peut également être entendu comme un facteur d’incarnation « pour faire plonger [les] partisans dans la réalité d’[un] programme » (La Croix, 05 01 22). Aux idées abstraites de ce dernier, l’univers sensoriel viendrait apporter son lot de sensations concrètes, car directement ressenties, pour mieux en « saisir la portée concrète » (Ouest France, 05 01 22). Ainsi verrait-on naître chez les citoyens des correspondances entre l’esprit politique et les sens à même d’incarner une pensée politique. Outre le fait de donner corps à la politique, « créer des univers afin de donner corps à des concepts plus abstraits » (Le Monde, 16 01 22), – ce que l’expression « corporéité politique » (political embodiment) résume assez bien – l’apport sensoriel a le mérite d’associer un événement, potentiellement des idées politiques, à une expérience vécue et d’en garder trace grâce au vecteur mémoriel qu’implique la sensation. L’idée politique, associée au sensible, et, partant, gravée dans le corps, serait ainsi davantage identifiée et mémorisée par le citoyen.
L’importation de sensations dans l’espace politique est finalement facteur d’adhésion. La nouveauté en général et la nouveauté immersive en particulier cherchent à « renouveler la forme de la vie politique » (Le Monde, 16 01 22) afin de séduire les électeurs et ramener les éventuels déserteurs dans l’arène politique. La perte de sens politique qu’illustrent des taux d’abstention toujours croissants pourrait-elle être contrebalancée par le gain d’une politique des sens ? Sauf à ramener quelques curieux badauds lors d’un meeting, une politique sensible se doit d’ancrer l’organisation de la cité dans une expérience incarnée et quoi de mieux que l’univers sensible, véritable interface entre l’individu et son environnement, pour y parvenir ? Si ce n’est par les actes, l’incarnation politique se fera par les sens.Une telle initiative pose enfin la question du renouvellement des stratégies politiques à l’heure des nouvelles technologies, paradoxalement ancrées dans le monde sensible. Le paradoxe vient du fait que l’on doive faire appel aux technologies avancées pour infuser la politique d’un univers sensoriel : « stimuli visuels », « son spatialisé », « parfums naturels » (Le Monde, 16 01 22). La surenchère sensible, à la fois artificielle et trompeuse, parviendra-t-elle à transformer de manière pérenne un domaine politique souvent aride et aseptisé ou se limitera-t-elle au simple « coup d’éclat » revendiqué par Jean-Luc Mélenchon ?